lundi 12 septembre 2016

CÉZANNE ET MOI



Comédie dramatique/Biopic/Historique/Un beau film à découvrir

Réalisé par Danièle Thompson
Avec Guillaume Gallienne, Guillaume Canet, Alice Pol, Déborah François, Sabine Azéma, Gérard Meylan, Laurent Stocker, Isabelle Candelier...

Long-métrage Français
Durée: 01h56mn
Année de production: 2016
Distributeur: Pathé Distribution

Date de sortie sur nos écrans : 21 septembre 2016


Résumé : Ils s’aimaient comme on aime à treize ans : révoltes, curiosité, espoirs, doutes, filles, rêves de gloires, ils partageaient tout. Paul est riche. Emile est pauvre. Ils quittent Aix, « montent » à Paris, pénètrent dans l’intimité de ceux de Montmartre et des Batignolles. Tous hantent les mêmes lieux, dorment avec les mêmes femmes, crachent sur les bourgeois qui le leur rendent bien, se baignent nus, crèvent de faim puis mangent trop, boivent de l’absinthe, dessinent le jour des modèles qu’ils caressent la nuit, font trente heures de train pour un coucher de soleil... Aujourd’hui Paul est peintre. Emile est écrivain. La gloire est passée sans regarder Paul. Emile lui a tout : la renommée, l’argent une femme parfaite que Paul a aimé avant lui. Ils se jugent, s’admirent, s’affrontent. Ils se perdent, se retrouvent, comme un couple qui n’arrive pas à cesser de s’aimer.

Bande annonce (VF)


Ce que j'en ai penséAvec CÉZANNE ET MOI, Danièle Thompson donne vie à l'écran à ces deux magnifiques artistes qui sont ancrés dans notre culture. Tout en s'intéressant à la 'petite' histoire de leur relation amicale, elle peint un grand tableau d'une époque à laquelle elle donne un souffle de vie, certes en partie imaginé, mais qui vibre avec une authenticité surprenante. 

Danièle Thompson, la réalisatrice
Entre de belles images colorées, des ambiances qui nous donnent l'impression de sentir le soleil de Provence sur notre peau et des plans rapprochés sur les acteurs laissant leurs regards en dire long, elle chronique leurs œuvres respectives au travers le récit de cette amitié véritable, de celles qui permettent de se sentir plus fort grâce aux encouragements de l'autre, s’autorisent la vérité et qui, bercées entre admiration et envie, peuvent se révéler blessantes et éloigner les meilleurs amis du monde. 
Les deux acteurs principaux sont bluffants ! Guillaume Gallienne personnifie un Paul Cézanne volcanique, incompris, blessé et sans cesse à la recherche de l'appréciation d'Émile Zola. 


Ce dernier est interprété par Guillaume Canet qui donne à son Zola une impeccable dimension de retenue et de sentiments ressentis en profondeur. 


Les deux hommes s'opposaient et se complétaient. Les deux acteurs font merveilleusement ressortir cette relation complexe. 



CÉZANNE ET MOI explore de multiples thématiques. C'est un film sur de grands artistes, sur l'amitié, sur une époque, sur l'art, sur l'amour, sur les souffrances de la créativité ainsi que les bons moments et les douleurs de la vie. Il se regarde comme une belle peinture et s'apprécie comme un bon roman, n'hésitez donc pas à le découvrir.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

Après la projection du film, Danièle Thompson, la réalisatrice, et Guillaume Canet, un des deux acteurs principaux, ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Découvrez cet échange dans les vidéos ci-dessous :








Entretien avec Danièle Thompson 

COMMENT ET D’OÙ EST VENUE VOTRE ENVIE DE FAIRE CE FILM QUI SEMBLE À PART DANS VOTRE FILMOGRAPHIE, PLUTÔT MARQUÉE JUSQU’ICI PAR LES COMÉDIES ? 

Il y a une quinzaine d’années, j’ai lu un article qui racontait l’amitié depuis l’enfance de Cézanne et Zola, puis leur éloignement. Je dois avouer que je n’avais jamais entendu parler jusque-là de cette brouille et que cela m’a intriguée. J’ai alors commencé à lire des biographies de l’un et de l’autre, à relire des textes de Zola que j’avais oubliés, à voir des tableaux de Cézanne que je ne connaissais pas. Il y avait dans cet épisode-là, dans cette fâcherie, une certaine dramaturgie qui dépassait la simple anecdote. À chaque fois que je finissais un film, j’avais envie d’aborder cette histoire mais lorsque j’en parlais autour de moi, on me disait : « Mais non, fais une comédie, c’est ce que tu sais faire. » Je faisais donc une comédie, puis une autre, puis une autre. Jusqu’à DES GENS QUI S’EMBRASSENT, qui n’a pas été le succès que j’espérais et dont l’accueil m’a un peu déstabilisée. J’ai alors décidé de prendre du temps et je me suis plongée pour le plaisir dans la vie de Cézanne et de Zola, sans savoir si j’y trouverais la matière d’un film. J’ai lu, j’ai lu, j’ai pris des tonnes de notes, j’ai noirci des tas de cahiers. J’étais complètement fascinée par tout ce que je lisais, par tout ce que j’apprenais. 

POURQUOI ? 

Parce que j’entrais dans le coeur de la vie de ces gens, dans leur jeunesse. Quand on évoque Cézanne, Zola, Victor Hugo ou Renoir aujourd’hui, on voit tout de suite des vieillards chenus et impressionnants. Là je découvrais des hommes jeunes, en plein devenir, dans une intimité, un quotidien qui, justement, n’étaient pas impressionnants. Ce n’étaient pas des légendes, pas des icônes, juste des jeunes gens avec leurs copains, avec leurs problèmes et leurs rêves, leurs faiblesses et leurs espérances... D’autant qu’on n’est pas si loin de cette époque et qu’il existe beaucoup de textes et de témoignages qui forment une matière incroyablement riche et vivante. Grâce à Jean-Claude Fasquelle, dont le grand-père était l’éditeur de Zola, j’ai rencontré Martine Leblond-Zola, l’arrière-petite-fille d'Emile. Je me suis immergée dans ce que Zola et Cézanne ont écrit et dans ce qu’on a écrit sur eux, j’ai suivi les chemins qu’ils avaient parcourus, au sens propre et au sens figuré. J’ai consulté à la Bibliothèque Nationale les manuscrits de Zola – émouvants avec leurs ratures ! J’ai arpenté les musées, observant d’un oeil neuf les oeuvres qui me connectaient à mes lectures. J’ai pris des photos de tous les tableaux qui me parlaient, sur les murs, dans les livres, sur internet. J’ai constitué des albums avec toutes ces images et tous ces documents. J’avais l’impression de vivre au dix-neuvième siècle. Cézanne et Zola étaient devenus ma famille. Et un jour, je me suis sentie prête à tenter l’aventure. J’ai décidé d’essayer de raconter leur histoire telle que je l’imaginais. Mes piles d’albums ont soudain pris vie. Et je me suis mise à écrire. Au départ, je voulais simplement faire un synopsis mais, très vite, je me suis aperçue que j’étais en train d’écrire le film ! 

QU’EST-CE QUI VOUS TOUCHE LE PLUS DANS CETTE HISTOIRE-LÀ, DANS CETTE RELATION DE CÉZANNE ET ZOLA ? 

Tout ! Il y a de nombreuses strates dans cette histoire, et c’est justement cela qui m’a passionnée. C’est d’abord l’histoire de deux amis qui vont essayer toute leur vie de rester les amis d’enfance qu’ils ont été, mais qui ne vont pas y arriver. C’est aussi fort qu’une histoire d’amour – voire plus. Comme il est dit dans le film, l’amitié c’est encore plus difficile que l’amour car il n’y a pas de balises, pas de règles, pas de définition précise. Les histoires d’amitié peuvent être très profondes, très douloureuses, très ambigües aussi... D’autant qu’il y a, après l’adolescence, le partage de l’argent, des femmes, des préoccupations, de l’ambition, de la difficulté de vouloir devenir un artiste. C’est le deuxième aspect qui me touche. C’est vraiment le coeur du sujet. Comment on vit son destin d’écrivain ou de peintre, et parallèlement une histoire d’amitié. Comment on vit le succès de l’un et pas de l’autre, comment on vit l’un qui admire l’autre et l’autre qui n’arrive pas à admirer le premier... Ce qui est intéressant, enfin, ce sont ces destins croisés : un fils de pauvres qui devient un bourgeois installé, établi, reconnu, et un fils de bourgeois qui va finalement sombrer dans une sorte de marginalisation, menant une vie de bohême avec très peu d’argent, ne gagnant pas un sou avec sa peinture, vivant avec une femme qu’il n’épouse pas, ne s’intéressant à rien d’autre que son art... Et puis au moment où l’un se demande si son inspiration n’est pas tarie, l’autre commence – enfin ! – à faire parler de lui, à attirer l’attention sur lui. L’un dont l’oeuvre majeure est écrite entre 25 et 50 ans, et l’autre qui ne va véritablement trouver sa voie, qui ne va devenir le précurseur de l’art contemporain, qu’à partir de 50 ans... Dans leur vie, tout est donc tout le temps à contre-sens. 

LORSQU’ON ABORDE UN FILM DONT LES PERSONNAGES SONT DES PERSONNALITÉS CÉLÈBRES AYANT EXISTÉ, N’EST-ON PAS PRISONNIER DE LA « VÉRITÉ » ? 

Si, bien sûr... Pendant mes recherches, je me demandais d’ailleurs si je pouvais prendre suffisamment de libertés avec cette histoire pour en faire un film. Or, il se trouve que l’une des raisons les plus plausibles de l’éloignement de Cézanne et Zola est la parution de L’OEuvre. Si dans ce livre Zola s’est beaucoup inspiré de Cézanne, de leur jeunesse, de leur amitié, de leurs préoccupations et de leurs discussions, il a aussi fait son travail de romancier sur la vérité, en prenant des libertés sur leur vie à tous les deux et sur le milieu de l’art, en recréant des situations qui n’étaient pas forcément ou pas entièrement vraies. S’il avait pris certaines libertés, je pouvais en prendre à mon tour ! Je me disais : « Tiens, Cézanne a présenté à Zola celle qui est devenue sa femme et on dit qu’elle a peut-être été auparavant sa maîtresse, eh bien pour moi, c’est sûr, elle l’a été ! » 

LE FIL ROUGE DU FILM EST CETTE « DERNIÈRE » RENCONTRE À MÉDAN ENTRE CÉZANNE ET ZOLA EN 1888... A-T-ELLE VRAIMENT EU LIEU ? 

Peut-être ! [Rires.] Il s’est passé quelque chose d’insensé lorsque je travaillais sur le scénario... Bien que L’OEuvre, ce livre qui a en quelque sorte scellé leur rupture, date de 1886, et que la dernière lettre de Cézanne à Zola qu’on connaît, celle qui est lue dans le film, dans laquelle il le « remercie » de L’OEuvre, est aussi de 1886, j’avais décidé de situer le fil rouge du film en 1888. C’est pour eux une année charnière. Il s’est passé beaucoup de choses dans la vie de l’un et de l’autre cette année-là. 1888, c’est la mort du père de Cézanne – et ça compte parce que tout d’un coup, il a de l’argent – et quelques mois auparavant, il a finalement épousé Hortense. 1888, c’est l’arrivée de Jeanne, la jeune lingère, dans la maison de Zola, et c’est un cataclysme : lui si rangé va en tomber amoureux et finir par mener une double vie presque officiellement... J’ai donc imaginé, contrairement à ce que tous les historiens pensaient, qu’ils s’étaient revus en 1888, et que Cézanne était venu à Médan une dernière fois pour une dernière explication. Le scénario quasiment terminé, je décide alors d’aller à Aix voir les lieux que j’avais décrits sans vraiment les connaître. Je rencontre là-bas Michel Fraisset, le conservateur du dernier atelier de Cézanne, celui de ses quatre dernières années que le monde entier vient visiter, et qui est un lieu extrêmement émouvant avec ses paniers (seules les pommes sont d’aujourd’hui !), sa veste tachée de peinture... Et là, il me dit : « Vous connaissez la dernière lettre de Cézanne à Zola ? – Celle dont tous les historiens parlent ? Oui. – Non, une lettre qui s’est vendue chez Sotheby’s il y a trois mois. » Je me liquéfie sur place. « Non, je ne la connais pas. – On a retrouvé une lettre qui a été vendue chez Sotheby’s pour 17 000 € il y a 3 mois (c’était donc il y a deux ans). Une lettre datée de 1887, dans laquelle Cézanne remercie Zola pour La Terre, le roman qu’il a écrit après L’OEuvre, lettre qui se termine par : « Je vais venir te voir. » En 1887 ! Un an après la dernière lettre connue jusque-là ! C’est quand même extraordinaire, non ? La licence romanesque que je m’étais autorisée devenait soudain extrêmement plausible. Ce que j’avais imaginé avait peut-être vraiment eu lieu ! Après, s’ils se sont vus, on ne sait pas ce qu’ils se sont dit, et c’est là qu’intervient l’imagination du scénariste. Enfin, l’imagination... Une imagination qui doit beaucoup aux textes de Zola, aux lettres de Cézanne, aux réponses de Zola, aux témoignages des uns et des autres, aux mémoires de Vollard, le marchand d’art qui a beaucoup fait pour la réputation de Cézanne... C’était passionnant de tout mêler, de jongler ainsi avec l’histoire réelle, de mélanger mes propres dialogues avec ceux qu’on leur prêtait. 

AU FOND, VOUS NE PRENEZ PARTI NI POUR L’UN NI POUR L’AUTRE... 

Je suis tombée amoureuse des deux ! Comme le dit Guillaume Gallienne : « Cézanne est vraiment attachiant ! » C’est un emmerdeur qui pousse toujours le bouchon trop loin. Ce sont deux artistes donc deux égoïstes chez qui l’obsession du travail, de l’oeuvre à accomplir prend le dessus sur pratiquement tout le reste. 

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QUE ZOLA SOIT PASSÉ À CÔTÉ DE CÉZANNE, LUI QUI, POURTANT, A DÉFENDU L’AVANT-GARDE D’ALORS, LES IMPRESSIONNISTES, MANET... 

Entre 26 et 30 ans, Zola est un merveilleux critique d’art. Il écrit cet article magnifique où il défend les Impressionnistes alors que tout le monde leur crache dessus. Il dédie l’article à Cézanne mais il ne pas parle pas de lui dans son papier ! Il aime son ami, il l’encourage et il se dit qu’il va y arriver mais au fond il pense qu’il n’y arrivera pas. En plus, au fil des ans, les goûts de Zola changent, deviennent plus académiques, plus conformistes (il n’y a qu’à voir sa maison pleine d’antiquités poussiéreuses !), et à 48 ans - un vieux monsieur pour l’époque ! - il écrit même un article où il désavoue complètement les Impressionnistes. En plus, il faut bien reconnaître que c’est vraiment dans les dix dernières années de sa vie que Cézanne peint ce qui va le faire entrer dans l’histoire et qu’au début de cette période (Zola meurt quatre ans avant Cézanne), ils ne se voient plus. D’ailleurs Cézanne, comme presque tous leurs amis artistes à l’époque à l’exception de Pissarro, a probablement été antidreyfusard. Mais même s’ils s’étaient vus, est-ce que Zola aurait compris Cézanne ? Est-ce qu’il était encore ouvert à ça ? Ce qu’il écrit à ce moment-là n’a rien à voir avec ce qu’il écrivait à 25 ans. Ce n’est vraiment qu’à la toute fin de sa vie que Cézanne a commencé à être un peu reconnu. Quand Zola est mort, Alexandrine, sa femme, a tout vendu, et ses Cézanne sont partis pour rien. Quand Caillebotte à sa mort a légué toute sa collection au Musée du Luxembourg, ils ont tout pris sauf... les Cézanne. Ils n'en ont pas voulu ! Voilà pourquoi aujourd'hui les plus beaux Cézanne sont à l’étranger. 

AU MOMENT DE L’ÉCRITURE, VOUS ÊTES VOUS DEMANDÉE QUELS ACTEURS ALLAIENT POUVOIR INTERPRÉTER CES PERSONNAGES RÉELS ? 

J’ai essayé de ne pas y penser ! Cela aurait pu m’arrêter dans mon élan. Il fallait en effet trouver des acteurs qui puissent un peu leur ressembler, qui puissent être dans la quarantaine et en même temps avoir en eux une certaine juvénilité pour jouer les personnages plus jeunes, et qui soient des comédiens sur lesquels on pouvait monter le projet. Cela faisait beaucoup d’interrogations. Je n’y ai réfléchi que vers la fin de l’écriture et le premier auquel j’ai pensé, c’est Guillaume Gallienne. Depuis FAUTEUILS D’ORCHESTRE, j’avais très envie de retravailler avec lui. Je le voyais davantage en Zola, parce qu’on l’imagine plus comme un intellectuel que comme un terrien. Je lui ai donné le scénario à lire. Il m’a rappelée en me disant : « Je veux jouer Cézanne ». Et il a rajouté : « Si tu veux, on fait une lecture et tu verras si vraiment je peux être Cézanne ». C’est ce qu’on a fait et je n’ai plus eu aucun doute. Il peut tout jouer ! Il fallait donc que je trouve mon Zola, et c’est Cécile Felsenberg, qui est leur agent à tous les deux, qui m’a conseillée de donner le scénario à Guillaume Canet. Il m’a tout de suite dit oui. 

QU’EST-CE QUI FAIT SELON VOUS, AUJOURD’HUI, QUE CANET EST L’INTERPRÈTE IDÉAL DE ZOLA ET GALLIENNE L’INTERPRÈTE IDÉAL DE CÉZANNE ? 

L’interprète idéal pour moi est celui dont j’ai envie et celui qui a autant envie que moi de faire le film. Si un acteur me dit : « Ah je ne suis pas sûr, je ne le sens pas vraiment... », à la seconde je n’en ai plus envie. Je crois beaucoup à l’instinct des comédiens et je n’aime pas l’idée d’avoir à les convaincre. Là, l’enthousiasme des deux Guillaume a été immédiat. C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup en France de vrais rôles de composition, et que cela aussi devait être excitant pour eux... Ils m’ont tous les deux beaucoup apporté. Je leur dois vraiment beaucoup. J’ai été chanceuse et heureuse d’avoir ces deux-là pour ce film-là. 

C’EST VRAI QU’ON LES OUBLIE TRÈS VITE POUR NE PLUS VOIR QUE LEURS PERSONNAGES. CE SONT DEUX COMÉDIENS QUI NE SEMBLENT PAS ÊTRE DE LA MÊME ÉCOLE. COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC EUX ? 

Déjà, le scénario lui-même est beaucoup basé sur leurs différences. Mais surtout, j’ai décidé d’oublier ça pendant que je travaillais avec eux. C’était mes deux interprètes et je voyais très bien ce que j’arrivais à sortir de l’un et de l’autre. Ce qui m’a fait très plaisir lorsqu’ils ont vu, chacun de leur côté, le film terminé, c’est qu’ils ont été absolument épatés l’un par l’autre, comme s’ils avaient été tellement dans leur personnage qu’ils ne l’avaient pas remarqué sur le plateau. En plus, j’avais affaire à deux metteurs en scène. À ça aussi, il ne fallait pas trop que je pense, sinon cela aurait pu me bloquer. En fait, j’avais sur le plateau deux acteurs qui étaient très à l’écoute, qui avaient tous les deux le trac de relever un tel défi, tous les deux l’envie de faire le mieux possible, tous les deux l’envie de faire une prise de plus. Ils me donnaient tous les deux le sentiment d’avoir vraiment confiance en moi et je me suis sentie très bien en leur compagnie. 

QUEL EST SELON VOUS LE MEILLEUR ATOUT DE L’UN ET DE L’AUTRE ? 

Ils ont tous les deux un immense instinct de comédien. Instinctivement, Guillaume Canet a ressenti qu’il fallait interpréter ce personnage « iconique » d’une façon extrêmement simple, très sobre. Instinctivement, Guillaume Gallienne a compris en revanche qu’il avait un peu affaire à un fou - aujourd’hui on mettrait Cézanne sur la liste des maniaco-dépressifs. C’est quand même un type qui se mettait dans des rages insensées et qui, quelques instants plus tard, semblait avoir tout oublié. Il y a chez tous les deux, qui viennent pourtant d’éducation différente, de milieux différents, qui ont suivi des parcours différents, et qui interprètent des personnages très différents, une même discipline, un même goût, voire une même obsession, du travail. Ce que j’ai ressenti chez l’un et l’autre, en plus de leur talent évident, c’est une grande expérience, une grande concentration, une grande demande de ce dont j’avais envie. Ni l’un ni l’autre n’arrivent sur le plateau en sifflotant. Ils ont tous deux une endurance, une persévérance et un acharnement dans la recherche de ce qu’il faut faire, qui sont magnifiques et rares. 

ILS S’APPELLENT TOUS LES DEUX GUILLAUME, N’Y AVAIT-IL PAS UN RISQUE DE CONFUSION SUR LE PLATEAU DANS VOS INDICATIONS LORSQU’ILS ÉTAIENT ENSEMBLE ? 

J’y ai beaucoup pensé avant le tournage et cela m’inquiétait un peu. Mais une fois sur le plateau, il n’y a jamais eu de malentendu. Jamais. Ils ont toujours su auquel je m’adressais. [Rires.] 

EST-CE UN FILM QUI A ÉTÉ DIFFICILE À MONTER FINANCIÈREMENT ? 

Aujourd’hui aucun film n’est facile à financer. Surtout un film « historique », qui à la fois sort des projets habituels et est différent de mes films précédents, et peut faire peur aux décideurs. Mais l’homme de ma vie, Albert Koski, mon producteur, s’est investi personnellement et passionnément pour rendre ce film possible. Cela a été un grand bonheur de travailler ensemble sur ce projet atypique qui nous tenait tellement à coeur. Et il a réussi à entraîner Pathé dans l’aventure, et d’autres également qui ont participé à la production, et aussi à communiquer à toute l’équipe un enthousiasme égal au sien. 

LA STRUCTURE DU FILM EST PLUTÔT ÉCLATÉE, PRESQUE « IMPRESSIONNISTE ». ÉTAIT-CE DÉJÀ LE CAS DANS LE SCÉNARIO ? 

Oui, avec la rencontre de Médan qui servait déjà de fil rouge, sauf... qu’à l’arrivée ce n’est plus tout à fait le même éclatement ! Une fois qu’on se retrouve au montage avec les scènes tournées, les rendus ne sont plus tout à fait les mêmes. Avec Sylvie Landra, ma monteuse, on a beaucoup travaillé, pendant près de six mois. Cela a été en quelque sorte une nouvelle réécriture du film. C’est justement le mystère - et la beauté - du montage. 

VOUS AVEZ BEAUCOUP TOURNÉ DANS LES VRAIS LIEUX... 

La plupart des scènes censées se dérouler à Paris ont été tournées à Moulins - c’était quand même plus simple ! Mais oui, on a tourné beaucoup dans les endroits mêmes où s’était déroulée cette histoire. Et il y avait une grande émotion, pas seulement des acteurs mais de toute l’équipe, de tourner dans ces lieux si chargés. Grâce à Martine Leblond-Zola, nous avons eu la permission de tourner dans le jardin de Zola, à Médan. Et dans la lingerie, lorsque Jeanne repasse et que Zola la regarde. On aurait pu tourner aussi à l’intérieur de la maison, mais il y a quand même un train qui passe toutes les quatre minutes ! On a aussi tourné dans la maison du père de Cézanne, au Jas de Bouffan – on a reconstitué les fresques qu’il avait peintes et qui sont aujourd’hui au Petit Palais, et ils ont décidé de les garder ! Elle va bientôt être restaurée et devenir un musée. Au dernier étage, là où Cézanne peignait, on a reconstitué son atelier, c’est là où on le voit faire le portrait de Vollard - en vérité, le portrait a été peint à Paris. Ce n’est que lorsqu’il a touché l’héritage de son père qu’il a fait construire un nouvel atelier, l’Atelier des Lauves qui était alors en pleine campagne et qui est aujourd’hui en pleine ville. On a été imprégné de tous ces lieux. Sans même parler des carrières de Bibémus qui sont restées exactement telles que Cézanne les a connues. Son cabanon, aussi, est resté intact. Il y a encore les pots et les pinceaux. Il allait souvent y dormir pour avoir les lumières de l’aube. C’est un endroit magique. Tout cela était forcément très émouvant - et très inspirant. 

JUSTEMENT, POUR UN FILM COMME CELUI-CI, LA LUMIÈRE EST TRÈS IMPORTANTE. COMMENT ET POURQUOI AVEZ-VOUS CHOISI DE TRAVAILLER AVEC JEAN-MARIE DREUJOU ? 

C’était un film différent de ceux que j’avais faits, j’avais envie de me remettre en question, de changer d’équipe. Jean-Jacques Annaud m’avait parlé de Jean-Marie dont j’aimais beaucoup le travail, je l’ai rencontré. On s’est très bien entendus tout de suite. Et, en plus de son talent, c’est un homme merveilleux - et cela compte car on est très proche de son chef-opérateur pendant le tournage. On a beaucoup parlé ensemble, je lui ai montré toute la documentation que j’avais réunie. Je ne voulais pas que la lumière soit « cézannienne », je ne voulais pas qu’on dise « On dirait un Cézanne ». J’ai revu des films qui m’avaient marquée par rapport à cette époque-là. Le VAN GOGH de Pialat ; évidemment LE DÉJEUNER SUR L’HERBE de Renoir ; UN DIMANCHE À LA CAMPAGNE, de Tavernier ; LA LEÇON DE PIANO et PORTRAIT DE FEMME de Jane Campion ; LE TEMPS DE L’INNOCENCE. Et aussi, même s’il se déroule un peu plus tard, CARRINGTON, de Christopher Hampton, parce que je me souvenais de cette intimité à l’intérieur de la maison, par rapport aux images de l’extérieur. Je voulais une lumière qui soit différente entre Paris et Médan, et la Provence. On n’a pas eu à faire beaucoup d’efforts. La lumière de Provence est l’une des plus belles au monde. D’autant qu’on a eu un temps magnifique... 

QUELLES INDICATIONS AVEZ-VOUS DONNÉES À VOS AUTRES COLLABORATEURS POUR LES COSTUMES, POUR LES DÉCORS, POUR LES MAQUILLAGES ? 

J’ai parlé de ce projet à Catherine Leterrier, la créatrice des costumes, le premier jour où je m’y suis mise, parce que je l’aime beaucoup et qu’elle a un talent fou. Je lui ai montré toute la documentation que j’avais réunie. Tous mes albums avec les photos que j’avais prises partout. Des photos de robes, de tenues, d’ambiance. De filles très habillées et d’autres un peu débraillées. Une couleur. Un chapeau. Une rue... J’ai d’ailleurs partagé ces albums avec toute mon équipe, avec Jean-Marie Dreujou, avec Michèle Abbe, la décoratrice, avec Dominique Colladant, le responsable des maquillages et du vieillissement. Ces albums nous ont tous inspirés pendant notre préparation et notre tournage. C’est un travail qui les a passionnés, même s’il fallait bien sûr essayer de faire des économies sur tout. Je n’ai d’ailleurs tourné que huit semaines et deux jours, ce qui n’est pas beaucoup pour un film pareil. On avait tous cette envie de faire quelque chose qui ne soit pas figé, mais vivant, naturel, comme si l’histoire se déroulait aujourd’hui. Avec des gens pas très coiffés, pas très maquillés, parfois débraillés... Pareil pour la musique. Je ne voulais pas d’une musique d’époque. J’ai demandé à Eric Neveux une musique qui soit liée au sentiment, que ce ne soit jamais une musique extérieure, une musique contemplative, mais qu’on soit dans l’émotion quand on avait besoin d’y être. Le travail qu’a fait Eric Neveux est très beau, d’une grande élégance. Il a compris ce que j’ai voulu raconter bien au-delà des indications que je lui ai données. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Lorsque je lui ai envoyé le film à Los Angeles, il m’en a parlé avec beaucoup d’enthousiasme et d’émotion. Par exemple, de la dernière scène, où Cézanne vient d’entendre son ami le dénigrer. Je ne voulais pas pour cette fin d’une musique désespérante et Eric m’a immédiatement évoqué ce que représentait pour lui ce retour vers la montagne et vers ces paysages de Provence auquel il appartient. Il part vers son œuvre, vers son destin d’artiste, vers ce qu’il est vraiment. Nous avions tous les deux envie d’une tonalité d’espérance. Cette histoire d’amitié – qui est presque une histoire d’amour - aura été douloureuse et magnifique. 

Entretien avec Guillaume Gallienne 

DANIÈLE THOMPSON VOUS AVAIT PLUTÔT IMAGINÉ EN ZOLA MAIS VOUS AVEZ PRÉFÉRÉ JOUER CÉZANNE... 

J’avais le sentiment d’avoir déjà un peu joué Zola. J’ai l’impression en effet que la mission de Zola, c’est un peu la même que celle de Pierre Bergé dans le YVES SAINT-LAURENT, de Jalil Lespert. Être celui qui a du recul, celui qui a de la sagesse, celui qui encaisse. En revanche, Cézanne, c’est bibi ! Pourquoi ? Pour le rapport au père, le côté gosse de riche, le côté homme en colère... Danièle était surprise. Je lui ai dit : « Soyons simples, faisons une lecture et on va voir si on le sent ou non. » Je vais chez elle et avant de commencer à lire, elle me dit : « Bien sûr, c’est avec accent. – Avec accent ? Quel accent ? – L’accent d’Aix, Cézanne avait l’accent d’Aix. » Or moi, je suis nul en accent du sud. Autant les accents du nord, les accents russes, allemand, anglais, je sais faire, mais les accents du sud... Je ne lui ai rien dit et je me suis lancé tel que je le sentais, sauf qu’au bout d’un moment, j’avais l’impression de faire tellement l’accent que je n’entendais plus ce qu’il disait mais seulement son accent. « Fais-en moins », m’a dit Danièle. Et c’est ce que j’adore avec Danièle, rien n’est jamais compliqué avec elle, aucun obstacle n’est insurmontable. Dans sa maison du sud, sur son bureau, il y a un presse-papier sur lequel est écrit : « Please disturb ». Ça, c’est Danièle, j’adore ! Au début de notre collaboration, elle m’a dit « Tu me parles de ce que tu veux quand tu veux ». Je ne m’en suis d’ailleurs pas privé. Je crois que c’est l’une des personnes à qui j’ai le plus parlé de choses intimes. 

COMMENT L’EXPLIQUEZ-VOUS ? 

Par ses yeux ! Elle a des yeux qui brillent d’intelligence, de curiosité, de jeunesse, d’expérience, sans jamais rien de moralisateur, sans rien de conventionnel... On riait beaucoup ensemble, peut-être parce qu’on a une forme de culture en commun, de références communes. On a cette merveilleuse connivence sur de nombreux points... Déjà, elle connaît le théâtre depuis l’enfance, puis ce n’est pas parce qu’on est touché par des choses sérieuses voire graves qu’il faut qu’on soit forcément triste et sinistre, ce n’est pas parce qu’on aime le bon goût qu’on est forcément des enfoirés de bourgeois. Enfin, on a ce point en commun de ne pas trop aimer les cases et les étiquettes... Elle a une façon de relativiser que j’adore, elle comprend l’acteur sur de petits détails qui n’ont l’air de rien mais qui peuvent le gêner. « À ce moment-là fais ça, ne t’encombre pas de ça ». Voilà, elle sait désencombrer ! Sur le tournage, elle m’a fait ce beau cadeau de ne pas couper systématiquement, de laisser tourner la caméra. Donc, je faisais, je faisais, je faisais, et au bout d’un moment je n’avais plus rien à faire, je n’avais donc plus qu’à être. J’ai été comme rarement dans ma vie d’acteur. Il y a eu quelques moments de grâce dont je me souviendrai toujours. Souvent dans les scènes où je peins, d’ailleurs. 

COMMENT VOUS ÊTES-VOUS PRÉPARÉ À INCARNER CÉZANNE ? 

Danièle m’a fait rencontrer un de ses amis, un peintre marseillais avec des rides magnifiques, un beau regard, un beau sourire : Gérard Traquandi. La première fois que je suis allé le voir dans son atelier – sept ou huit mois avant le début du tournage – il a pris une toile, un chevalet, et m’a dit : « Alors Cézanne, c’était comme ça, et puis les pinceaux, c’était ça, la palette, c’était ça... Bon je te donne un peu de cobalt... Et peins ça. » J’avais regardé des photos de Cézanne au travail, j’avais vu comment il tenait ses pinceaux, je commence à peindre, et là il me dit : « Tu as un problème, tu veux remplir trop vite ». Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, car c’est quelque chose qu’on peut me reprocher aussi en tant qu’acteur. Message reçu ! « Vide, ne remplis pas, pars de rien, pars de ce que tu vois... » Avec Gérard, nous avons travaillé régulièrement, nous sommes allés au Musée d’Orsay aussi. « Et ce tableau, tu en penses quoi ? – C’est une croûte, non ? – Oui, tu as raison, mais déjà on voit l’humilité. » Il m’a dit des mots comme ça qui m’ont plu et guidé. Grâce à lui, avec lui, j’ai beaucoup regardé la peinture de Cézanne. J’ai vraiment pris le temps de goûter, d’essayer de comprendre surtout – ce qui n’est pas évident parce que, pour moi, il a un rapport à son art plus mathématique que littéraire. En fait, j’ai eu accès à Cézanne grâce à la couleur. Gérard m’a dit qu’il passait son temps à travailler toute la gamme, du bleu au jaune... ça m’a énormément aidé, et grâce aussi à ma femme qui est coloriste, j’ai pu le comprendre, j’ai pu apprécier le modulé de Cézanne... Ça m’a impressionné et ça m’a permis d’appréhender les peintres qui sont venus après lui. J’ai pas mal lu aussi. Les correspondances de Cézanne et de Zola... 

ET L’OEUVRE AUSSI, J’IMAGINE ? 

Non ! J’ai détesté, j’ai à peine commencé et j’ai arrêté. Dans mon émission de radio, j’ai fait tout un cycle Zola avec L’Assommoir, Germinal et La Curée, mais pas L’OEuvre. 

VOUS LE RESSENTIEZ COMME CÉZANNE EN FAIT... 

En tout cas, je ne voulais pas être marqué par la vision qu’a Zola de Cézanne. Je voulais entrer dans cette histoire à travers le regard de Danièle. En fait, je n’ai jamais envie de trop me documenter. Je cherche plus du ressenti. Ainsi, pendant les vacances avant le tournage, j’ai loué une maison près d’Aix. J’ai vu mon copain Bruno Raffaelli, qui, comme Cézanne, vient pile de ce milieu-là, de la grande bourgeoisie provençale, et il m’a dit une chose très belle : « Je réfléchissais à ton film en marchant dans la pinède et je me disais : “Pas étonnant que Cézanne détestait les Impressionnistes”, regarde ces lignes... Il n’y a que des lignes qui se prolongent, qui se croisent, qui se heurtent ! C’est l’opposé de l’Impressionnisme. Avec ce qu’il avait devant les yeux, il ne pouvait pas les supporter, c’est évident. » Et lorsque je l’ai interrogé sur l’accent, il m’a seulement dit : « Pense à Alain Françon : élégant. » Bon conseil ! Ensuite, côté préparation, il y a eu bien sûr tout le travail avec Dominique Colladant sur les maquillages - c’est la seule chose que j’avais demandée pour le film, que Dominique travaille avec nous. Et toute la réflexion sur les costumes avec Catherine Leterrier. Comment tout d’un coup elle prenait un vieux foulard, et shlak tout était là ! J’ai besoin de m’imprégner de ce genre de choses. Enfin, c’était excitant de chercher la voix, la manière de se déplacer, de bouger, de se tenir, qui ne sont pas les mêmes selon les époques de sa vie. Ça, c’était très jubilatoire. Après, c’est le travail d’équipe sur le plateau. 

QU’EST-CE QUI VOUS TOUCHE LE PLUS CHEZ CÉZANNE ? 

Ce qu’il cherche. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas un territoire, ce sont des paysages... Et ce sentiment terrible de savoir qu’il a raison mais de ne pas encore savoir le faire bien. Il est très conscient de son talent et de son impuissance à le transcender. Cela le rend dingue. Il n’est pas sûr de lui mais il est sûr de son art. C’est à la fois fabuleux et douloureux. À force d’opiniâtreté, d’effort et d’intransigeance avec lui-même avant tout, il va y arriver. Cela se sent dans sa peinture. L’évolution est hallucinante. Il passe d’une épaisseur de matière de plusieurs centimètres, au début, à pratiquement rien, à la fin. Je crois que c’est ce qui me touche le plus, parce que c’est ce vers quoi je travaille aussi : je cherche le calme, je cherche à gommer. Ce n’est pas encore ça mais j’y travaille... C’est donc cela, oui, qui me touche le plus chez lui. 

EN QUOI DIRIEZ-VOUS QU’IL EST LE PLUS PROCHE DE VOUS ? 

Son exigence. Ce qui n’est pas forcément une qualité, et qui n’est pas forcément perçu comme une qualité - sauf lorsque vous êtes mort ! Tant que vous êtes en vie, c’est un peu dur, pour les autres comme pour vous. En fait, cela cache une souffrance, une frustration, le sentiment d’être incompris. On est rarement satisfait... Comme lui, je peux aussi parfois être habité de sombres pensées. Quand cela m’arrivait, j’avais un nom de code avec Danièle : « black dog », l’expression de Churchill pour nommer ses moments dépressifs... Elle comprenait, me laissait tranquille, ne m’en tenait pas rigueur, d’autant que dès que je jouais cet état disparaissait. 

AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC GUILLAUME CANET AVANT LE TOURNAGE ? 

On a fait des lectures avec Danièle. On se parlait aussi simplement sur l’évolution de nos personnages. « Qu’est ce que tu penses de ça ? Et tu peux faire ça comment ? » Tout était simple et naturel. Guillaume et moi, on se connaît depuis l’âge de 19 ans. Un de mes meilleurs amis jouait avec lui dans « La ville dont le prince est un enfant » au Théâtre Hébertot, et on était en même temps au Cours Florent mais pas dans la même classe. On a même fait ensemble un court métrage aberrant au Mercure de Honfleur, où on avait mis un sacré bordel ! Donc entre nous deux, il y a quelque chose d’acquis. La proximité des personnages, leur familiarité, leur tendresse, on n’avait pas besoin de les fabriquer, elles étaient là. 

QUEL EST, SELON VOUS, SON MEILLEUR ATOUT POUR JOUER ZOLA ? 

On est très différents l’un de l’autre. C’est un patron, Guillaume. Il a l’habitude de mener une équipe, d’aller vite. Mais là, on était partenaires, c’était autre chose. Guillaume semble vivre tout le processus de création d’un personnage de façon laborieuse, alors que lui n’est pourtant pas laborieux. Moi, c’est un peu l’inverse, j’adore le processus, après, le résultat... Ce qui était touchant avec Guillaume, c’est qu’il y a, je crois, quelque chose de très personnel, par rapport à ce qu’il a vécu, qui l’a poussé à accepter le rôle. Comme s’il avait très envie de dire ce que dit Zola... Qu’est-ce qui fait qu’on vous adore un jour et qu’on vous crache dessus le lendemain ? Et ce doute qui vous assaille... Comme s’il y avait dans cette mission où le politique et l’émotion humaine se rejoignent par rapport à lui et au monde quelque chose de fondamental... J’aime beaucoup cela chez Guillaume. Et puis il y a aussi ce travail qu’il propose depuis quelque temps au cinéma, d’intérioriser davantage, et qui résonnait avec Zola, au moins dans le couple qu’il forme avec Cézanne. C’était très intéressant parce que, du coup, ça me laissait une latitude plus grande. Il ne s’agissait pas non plus d’en faire des tonnes, il fallait faire attention à la théâtralité même si Cézanne en joue parfois, mais j’avais plus d’espace. Le personnage de Cézanne est très haut en couleurs et il ne faut pas que l’autre ait le sentiment qu’on tire la couverture à soi. Mais Guillaume, quand il vous écoute, il vous écoute ! C’est comme s’il n’y avait que vous qui existiez au monde, c’est très rare et très agréable. En plus, il a un charme incroyable, dès qu’il a l’oeil qui frise, dès qu’on sent qu’avec sa pudeur il se connecte, il est irrésistible. Dans les moments où Zola baisse la garde, où il se lâche, il y a comme des vibrations... 

DE TOURNER DANS LES LIEUX OÙ A VÉCU, OÙ A TRAVAILLÉ CÉZANNE, CELA A-T-IL COMPTÉ POUR VOUS ? 

Au début, je pensais que non, que c’était purement anecdotique, qu’on pouvait bien dire « Oh c’est émouvant ! » mais que ça ne changeait au fond pas grand chose. Et puis, un jour, dans la pinède, à force de regarder les pins, de me demander comment Cézanne les peignait, d’essayer de comprendre comment raconter le vent et pas l’arbre – c’est ce que disait Cézanne : « Je veux peindre le vent » – j’ai senti que je commençais à être ému par des choses qui ne m’auraient jamais touchées avant. Ce n’était plus un cliché, c’était quelque chose que je goûtais par moi-même, de moi-même. Au-delà des lieux, l’ambiance sur le plateau a beaucoup compté. Danièle y est pour beaucoup bien sûr. Jamais d’éclat, ni de saute d’humeur. Le bonheur ! Le diapason est chaleureux, lumineux, enthousiaste... 

J’ai adoré travailler aussi avec Alice Pol – j’ai littéralement flashé sur elle, j’ai rarement vu une telle disponibilité chez une actrice, elle capte tout dès qu’elle entre dans une pièce... Et aussi avec Isabelle Candelier, avec Sabine Azéma, même si je n’ai pas beaucoup de scènes avec elle, avec Déborah François. Et avec tous les membres de l’équipe : Jean-Marie Dreujou, Dominique Colladant, qui ne lâche rien, Nicolas Cantin au son, la scripte, les habilleuses, la monteuse qui, lorsqu’elle est venue sur le plateau, m’a rassuré sur mon accent parce qu’elle est marseillaise, Florian Genetet-Morel de la production, Albert Koski, notre producteur. Toutes ces présences étaient très bienveillantes, très encourageantes. Elles mettaient du baume au coeur... 

Y A-T-IL UNE SCÈNE QUE VOUS APPRÉHENDIEZ PARTICULIÈREMENT ? 

Oui, juste cette scène où je devais lire un passage de L’OEuvre et fondre en larmes en lui disant : « Ça ne veut rien dire ce titre L’OEuvre ! Ça ne veut rien dire L’OEuvre ! ». Je sentais que mon émotion venait au début du texte et pas vers la fin, au moment où il doit pleurer. J’ai demandé à Danièle ce qui la touchait dans ce texte. « Les calanques, les fontaines, tout ça... » Je lui ai alors demandé de m’envoyer des ondes, de penser à cela pour moi pendant qu’on tournait la scène. Elle a été un peu surprise mais elle a dû le faire car la scène s’est très bien passée, et j’ai été débordé d’émotion à la fin de la prise... 

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QUE ZOLA QUI ÉTAIT PLUTÔT OUVERT À LA MODERNITÉ A PU PASSER À CÔTÉ DU GÉNIE DE CÉZANNE ? LA DERNIÈRE SCÈNE OÙ IL LE CONDAMNE POUR TOUJOURS EST TERRIBLE... 

C’est horrible, en même temps, vous avez vu comment je pars, comment je marche. Il n’est pas du tout abattu, il y a de la rage chez lui... Il ne se sont vraiment brouillés qu’une fois que Cézanne a eu l’argent de son père, pas folle la guêpe ! La culpabilité du succès de l’un, l’aigreur et la jalousie du non succès de l’autre, et finalement les deux se renvoyant leur culpabilité, c’est quand même assez fou comme histoire ! Quand je lis Zola, il y a des moments de génie absolu, des phrases incroyables, mais je crois qu’il ne pouvait pas comprendre Cézanne. Zola avait besoin du naturalisme, de vrai, de documentation, alors que le vrai de Cézanne allait beaucoup plus loin, au-delà de ce qu’on voyait, il était sur d’autres sensations. En fait les deux n’avaient pas les mêmes préoccupations et leurs chemins se sont écartés de plus en plus... 

ON SE DEMANDE MÊME COMMENT LEUR AMITIÉ A PU DURER AUSSI LONGTEMPS... 

On a toujours besoin de témoins. Ça fait du bien les témoins même si ça dérange. Face à eux, on ne peut pas tricher, on ne peut pas trop se la raconter. C’est donc important de se les garder, les témoins, de se les coltiner de temps en temps. Mais ce qui m’a le plus marqué en voyant le film, c’est que j’ai rarement vu une femme cinéaste qui aimait autant les hommes. Danièle les aime vraiment, en tout cas ces deux-là, avec tous leurs défauts, dans tous nos moments de sublime, de grotesque, de touchant. On se reconnaît tous dans des facettes de l’un ou de l’autre. D’autant qu’au-delà de Cézanne et Zola, il y a quelque chose d’universel sur l’amitié, sur la fraternité, sur ces relations qui puisent leurs racines dans l’enfance - les évolutions de parcours, c’est terrible ! D’ailleurs, dans le film, c’est presque plus souvent Paul et Emile que Cézanne et Zola. Au moment où le noir s’est fait à la fin de la première projection, je me suis souvenu de Kirsten Dunst qui, après avoir vu MARIE-ANTOINETTE, avait dit à Sofia Coppola : « Maintenant je peux m’arrêter de travailler ! ». 

C’EST CE QUE VOUS VOUS ÊTES DIT ?! 

Non, moi, c’est le contraire ! Quand la salle s’est rallumée, je me suis tourné vers Danièle et je lui ai dit : « Maintenant je peux commencer à travailler. » 

POURQUOI ? 

Parce que je pense que je n’ai jamais aussi bien joué de ma vie, ça ne se dit pas mais je le dis quand même ! [Rires.] Du coup, j’ai demandé à Eric [Ruf, administrateur de la Comédie-Française] d’arrêter « Lucrèce Borgia ». « Stop ! I want my balls back ! » Pour la première fois, je m’aime vraiment en homme. Terminé, les femmes ! Je viens de finir la saison, le spectacle reprendra à l’automne mais sans moi. Dans YVES SAINT-LAURENT je m’aimais, c’était plutôt plus viril que ce que j’avais proposé avant, mais c’était surtout la relation de Bergé et de Saint-Laurent que j’aimais. Ce que j’aime bien aussi dans CÉZANNE ET MOI, c’est que je suis plus vieux que mon âge, et qu’en même temps, il y a toujours de l’enfance sur le visage, dans le regard. L’oeil qui brille derrière des problèmes de cataracte, ça m’a toujours bouleversé, j’ai toujours aimé ça. Tout cela m’a donné de la confiance pour l’avenir... J’ai quand même mis du temps à me remettre du tournage, de l’aventure. J’en ai beaucoup rêvé ensuite. L’écho des troubles qu’on est allé creuser a duré plus longtemps que je ne l’avais imaginé... Cette colère qui anime Cézanne, cet acharnement à aller jusqu’au bout de ce qu’il pressent, ce sentiment d’avoir raison contre tous, cet isolement qui, pourtant, n’altère pas son côté combattif... Sans doute ne creuse-t-on pas tout cela impunément... 

SI VOUS DEVIEZ NE GARDER QU’UN MOMENT OU QU’UNE IMAGE DE TOUTE L’AVENTURE DE CÉZANNE ? 

J’en serais incapable… Peut-être ce moment avec Danièle où je lui ai dit « Envoie-moi des ondes »… Peut-être aussi les moments où elle ne coupait pas. Et aussi cette scène à la fin quand je peins dans la pinède. Tout d’un coup il y a eu une rafale de mistral, un éclat dans le ciel, quelque chose de mystérieux qui m’a fait oublier de jouer. Je suis parti en oubliant ma canne. « Ah merde, ma canne ! » Et je suis revenu la chercher... C’était magique, comme un état de grâce... J’aime beaucoup aussi cette phrase qu’il dit à Vollard : « J’ai fait quelque progrès, non ? » C’est drôle, je ne m’identifie pas du tout à Cézanne, je suis à des années lumières de lui, mais je l’aime beaucoup. 

Entretien avec Guillaume Canet 

QU’EST-CE QUI VOUS A SÉDUIT DANS LE PROJET DE DANIÈLE THOMPSON LORSQUE VOUS AVEZ LU LE SCÉNARIO ? 

Le scénario, justement. Il était très bien écrit, j’aimais son côté déstructuré qui le faisait échapper aux biopics traditionnels. Et surtout j’aimais cette histoire qui dépassait même Zola et Cézanne. J’ai découvert leurs relations, leur amitié puis leur brouille. J’ai vu des personnages attachants plus que des figures emblématiques. J’ai d’abord vu Emile et Paul, et, ça m’a plu. Il y avait là une histoire qui pouvait passionner les gens d’aujourd’hui. Et un thème qui, me touchait personnellement parce que j’ai été moi-même confronté avec mon dernier film à la dureté de la critique, à l’indifférence du public. Ça été une expérience très violente. Et cela est justement au coeur du projet de Danièle. La manière dont, dans son film, sont exprimés le doute, la remise en question, la passion pour sa propre oeuvre qu’elle soit picturale ou littéraire, ce que traversent les personnages, je trouvais cela magnifique et tellement juste. « Tu crois quoi ? Tu crois que moi, je ne me lève pas la nuit pour changer une virgule ? » 

Quand on crée, quand on écrit, quand on peint, quand on réalise des films, ce sont des choses qu’on vit au jour le jour. Ce sont des situations, des sentiments, des interrogations qu’on connaît. 

En plus, j’ai eu un vrai coup de foudre pour le personnage de Zola. Je dois avouer que je n’étais pas un grand connaisseur de son oeuvre – si ce n’est de L’OEuvre justement que j’avais lu. J’avais lu aussi Germinal, et quelques classiques qu’on vous impose au lycée, et que j’avais lus plutôt douloureusement d’ailleurs. Jamais, je ne m’étais interrogé sur la nature même de l’homme Zola, et là tout d’un coup j’ai vu quelqu’un qui pouvait être assez proche de moi... 

DE QUELLE MANIÈRE ? 

Quelqu’un à l’itinéraire particulier, venant d’un milieu à des années-lumière de ses aspirations. Son côté terrien, un peu bourru, paysan... C’est d’ailleurs amusant, la description qu’en fait Charles Péguy la première fois qu’il le voit sortir de sa maison. Il le décrit comme un paysan de je ne sais quelle province, un homme un peu bourru, un peu ours, et qui, petit à petit, devient sympathique. Cela peut avoir à voir un peu avec moi qui suis, de prime abord, plutôt réservé. Je suis très sensible aussi chez Zola à sa fidélité en amitié, à sa droiture. Bref, il y avait plein de couleurs, plein d’aspects chez lui dans lesquels je me retrouvais, et c’était excitant. Et je dois dire aussi que ma première rencontre avec Danièle a été déterminante. 

POURQUOI ? 

Au-delà du fait que Danièle soit charmante, agréable et passionnante, je l’ai trouvée tellement habitée par son sujet que j’ai vu l’importance de ce projet pour elle. Elle l’avait depuis très longtemps en tête, elle l’avait ruminé, elle y avait beaucoup réfléchi. J’ai été épaté par tout son travail de recherche. Et j’ai été emballé par la manière dont elle parlait du film, du thème, de la création, de sa confrontation elle aussi à la critique. 

ON NE VOUS A PAS SOUVENT VU INTERPRÉTER DES PERSONNAGES AYANT EXISTÉ, NI FAIRE DE VRAIS RÔLES DE COMPOSITION. AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ DIFFÉREMMENT DE D’HABITUDE ? 

Je l’avais déjà fait dernièrement sur plusieurs films : L’HOMME QUE L’ON AIMAIT TROP, LA PROCHAINE FOIS JE VISERAI LE COEUR, THE PROGRAM, mais là, c’était différent, Zola est une icône, une figure très connue. J’ai eu très peur pendant un moment car je me demandais justement si j’allais être crédible en Zola. Il fallait trouver une nouvelle démarche, une nouvelle manière de poser la voix, il fallait prendre du poids, vieillir... J’ai commencé par m’imprégner du personnage et de l’époque. J’ai lu et relu une bonne partie des Rougon-Macquart, j’ai relu Germinal, j’ai disséqué L’OEuvre dans tous les sens parce que c’est la source la plus plausible de leur brouille, et que dans la scène d’explication qui sert de fil rouge au film, c’est un élément capital. J’ai lu aussi ce qu’ont dit de lui ses contemporains, comme Péguy. J’ai même revu des films sur l’Affaire Dreyfus. Puis j’ai eu envie de suivre le cheminement habituel que j’emploie en tant qu’acteur. Souvent, je m’inspire d’animaux. Ça peut paraître étrange, mais pour moi, c’est important dans ma démarche. On dit que l’homme est un animal pensant, c’est qu’il a toujours un instinct animal. Je cherche donc de quel animal pourrait se rapprocher mon personnage, et je m’en inspire. Lorsque je regardais les photos de Zola, il y a quelque chose qui me frappait : sa barbe. Le côté dru de sa barbe, corrosif, abrasif. On le retrouve aussi d’ailleurs dans sa manière de travailler, de chercher, d’enquêter, de dénoncer, et j’ai pensé, à cause de sa barbe et de sa détermination, voire de son obstination, à... un fox-terrier qui a une sorte de barbe et des poils très drus. J’ai imaginé aussi un ours pour sa force tranquille... D’ailleurs, à propos de la barbe, j’ai harcelé le département maquillage et coiffure sur le tournage. J’étais intransigeant, jusqu’à dire à Danièle que si on ne trouvait pas la barbe, je ne pouvais pas faire le rôle !!! J’en ai essayé des tas. Elles ne me plaisaient jamais. Trop molles, trop volatiles. Je la voulais DRUE ! À la Jean Yanne. Une barbe drue comme un tampon Jex, qui décape ! Et du jour où ils ont trouvé la barbe, j’ai eu le personnage. J’avais la manière de placer ma mâchoire, la manière de me tenir, etc. Ensuite, c’est aussi tout le reste qui a fait le reste : le poids, les costumes - magnifiques ! - de Catherine Leterrier... 

Même si j’avais lu les livres de Zola parce que j’avais besoin de me replonger dans le contexte, de prendre conscience de ses inspirations, de ses dénonciations, ce qui m’intéressait, c’était l’homme plus que son oeuvre. Ce qui m’excitait, c’était de jouer l’homme tel qu’il était, auquel des hommes d’aujourd’hui pouvaient s’identifier. 

QU’EST-CE QUI VOUS TOUCHE LE PLUS CHEZ LUI ? 

Cette contradiction entre l’oeuvre et l’homme, l’écrivain qui continue de dénoncer, d’affronter la vérité de son époque, et l’homme qui s’embourgeoise et qui ne le vit pas très bien... Et toujours sa droiture et sa détermination auxquelles je suis très sensible. Il a toujours été droit dans ses bottes. Pendant l’Affaire Dreyfus bien sûr – qui se déroule après les évènements du film – où il a été au bout de son combat. Mais aussi avec sa femme qu’il n’a pas voulu quitter lorsqu’il est tombé amoureux de Jeanne. Et bien sûr, sa fidélité à Cézanne, malgré tout. 

POURQUOI, SELON VOUS, CETTE AMITIÉ ENTRE EUX A DURÉ SI LONGTEMPS MALGRÉ LEURS DÉSACCORDS ET LEURS AFFRONTEMENTS ? 

Je pense qu’ils étaient un exemple l’un pour l’autre. Cézanne s’est beaucoup inspiré de la détermination, de la passion de Zola, alors que lui était au départ un petit peu plus dilettante, un peu plus volage. Et Zola s’est également énormément inspiré de Cézanne, il lui a même volé sa vie comme il le lui dit au moment de la parution de L’OEuvre. lls se sont beaucoup nourris l’un l’autre. Puis leurs chemins se sont éloignés. Le succès de l’un et l’absence de réussite et de reconnaissance de l’autre n’y sont pas étrangers. Il n’empêche qu’ils étaient liés par quelque chose de très fort, de très profond. C’est le propre des amitiés d’enfance. Elles ont souvent quelque chose d’indéfectible. On n’en a pas toujours envie, mais on ne peut pas s’y soustraire. Quand Zola dit au début du film : « Je me serais bien passé de cette visite aujourd’hui », il est sincère et, en même temps, Cézanne lui manque. Il sait très bien qu’ils vont s’engueuler, qu’ils vont se dire leurs quatre vérités, mais il sait que cette relation fait partie de lui, de son histoire. Ils sont sans doute les seuls d’ailleurs à pouvoir se dire ce qu’ils vont se dire, comme si chacun était le « tuteur », le miroir de l’autre. 

AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ ENSEMBLE AVEC GUILLAUME GALLIENNE AU MOMENT DE LA PRÉPARATION ? 

On a fait quelques lectures avec Danièle, on a eu quelques échanges sur nos personnages mais l’essentiel, nous l’avons fait chacun de notre côté. Avec Guillaume, on se connaît depuis très longtemps, on s’est rencontrés à l’époque du Cours Florent, il était très ami avec Thierry De Perretti qui jouait avec moi « La ville dont le prince est un enfant » à Hébertot, on était ensemble dans NARCO, de Gilles Lellouche et Tristan Aurouet, on a fréquenté les mêmes gens, on se connaît donc très bien sans être véritablement proches. Sur le plateau, c’était comme si on se redécouvrait, et ça tombait très bien avec ce qu’on avait à jouer. Cela a beaucoup nourri le film. 

QUEL EST, SELON VOUS, SON MEILLEUR ATOUT POUR JOUER CÉZANNE ? 

Peut-être, je prends le risque de ne pas lui faire plaisir ! [Rires.] – sa fragilité, sa recherche permanente de lui-même qui ont beaucoup servi le personnage et l’ont rendu touchant. Cézanne est un personnage incontrôlable, qui est tout le temps sur le fil du rasoir, qui peut à tout moment exploser ou décider sur un coup de tête de quitter Paris et de repartir à Aix ! Guillaume peut avoir un peu ce côté-là ! Cézanne, contrairement aux apparences, est plus vulnérable au regard des autres que Zola. Il a moins d’assise et moins de recul que lui. Et justement, les frémissements, la sensibilité, la fragilité de Guillaume rendent cet aspect-là très touchant. Lorsque j’ai vu le film, j’ai été surpris et épaté par Guillaume. Sur le tournage, je ne comprenais pas toujours ce qu’il jouait, notamment dans cette émotion à fleur de peau. En voyant le film, j’ai tout à coup compris ce qu’il avait construit au fur et à mesure de la fragilité de ce personnage, toujours un peu à vif, un peu explosif. Je sais depuis longtemps que c’est un grand acteur mais sur le plateau, je n’ai pas toujours mesuré que ce qui pouvait être un peu extravagant allait sonner aussi juste. 

LE FAIT DE TOURNER DANS LE JARDIN DE LA MAISON DE ZOLA À MÉDAN, C’ÉTAIT INSPIRANT ? 

Oui, c’était incroyable d’autant, et heureusement pour moi, qu’on a commencé le tournage dans la maison de Médan. Lorsque je suis arrivé sur le plateau, l’arrière-petite-fille de Zola, une femme charmante qui maintenant s’occupe de la maison et du musée, était là, et j’ai vu dans son regard une immense surprise, comme si elle était tétanisée, comme si elle voyait un fantôme ! [Rires.] « Mais il est beau ! Mais vous êtes beau ! C’est fou, c’est LUI ! Votre allure, votre façon de marcher, votre façon de parler, c’est incroyable... » Elle était très émue et pendant toute cette première journée, elle n’a pas arrêté de me prendre en photo ! En plan large, en plan rapproché... Elle m’a fait visiter l’intérieur de la maison, où on ne tournait pas à cause notamment du passage des trains. Elle m’a emmené dans le bureau de Zola, qui est resté intact et qui est forcément chargé de tout ce qu’il a écrit là. J’ai fait une photo devant la cheminée avec l’inscription en latin : « sine die, sine linea » (« pas un jour sans une ligne »), c’était émouvant. Penser en tournant la scène dans le jardin qu’il se promenait tous les jours à cet endroit-là, c’était très inspirant... Et puis après, la maison en pierres de Cézanne, son cabanon... Un vrai décor de cinéma alors que pour le coup, ce n’en était pas un ! Et les carrières qui sont restées telles quelles... L’endroit est magnifique. On comprend pourquoi il était là-bas, la lumière est tellement belle, avec tout au long de la journée, des variations de couleurs complètement dingues... 

LES RELATIONS DE ZOLA AVEC CÉZANNE SONT AU COEUR DU FILM MAIS ON SENT AUSSI CE RAPPORT TRÈS FORT QU’IL AVAIT AVEC SA MÈRE ET AVEC SA FEMME... 

Il y a un rapport très particulier à la femme chez Zola. Il a perdu son père assez jeune, il a été élevé par sa mère et il a concentré toute son affection sur elle qui le lui rendait bien. Puis son amour pour sa femme, Alexandrine, est d’une certaine manière le prolongement de cet amour-là. D’ailleurs il lui impose sa mère. Comme s’il lui disait : « Je ne suis pas prêt à vivre totalement avec une femme sans ma mère. » J’ai été très frappé en lisant un livre qui m’a beaucoup inspiré, Lettres à Alexandrine, de constater à quel point il l’aimait, mais sans fougue, sans passion. Il écrit avec moult détails mais il ne s’enflamme jamais. J’ai tendance à penser qu’il n’a découvert l’amour charnel que très tard, qu’à l’arrivée de Jeanne, la jeune lingère, dans sa vie. C’est elle qui va éveiller son désir, qui va réveiller ses sens... 

Bien sûr, j’ai été surpris quand Danièle m’a annoncé que ce serait Isabelle Candelier qui jouerait ma mère. Elle ne doit pas avoir dix ans de plus que moi ! Mais cela a très bien fonctionné, d’autant qu’on nous voit beaucoup ensemble lorsque je joue Zola jeune. J’ai beaucoup aimé son interprétation du personnage, une femme à la fois forte et sensible, et même drôle, une femme qui ne s’efface pas, qui a une place établie au sein de la famille, avec un beau mélange d’autorité et de finesse. J’ai aussi beaucoup aimé jouer avec Alice Pol qui interprète Alexandrine. J’adore la scène où elle fait son allumeuse devant la cheminée. Elle est géniale. Elle a tout à la fois de la légèreté et de la profondeur. Et sait faire passer, parfois juste par les regards, toutes les ambigüités de leur relation, des sentiments de cette femme qui a son petit caractère, qui sent que l’amour de son mari est totalement sincère et qu’en même temps il est un peu platonique et qui sait qu’elle, elle l’aimera et le soutiendra toujours... Et Freya Mavor, qui joue Jeanne, est formidable aussi, d’autant qu’elle n’a quasiment pas de dialogues. Elle réussit quelque chose de très fort en très peu de scènes. J’adore la scène de la lingerie où je l’observe et qu’elle se retourne et me regarde et que j’ai le sentiment d’être pris en flag ! 

QU’ATTENDEZ-VOUS D’UN METTEUR EN SCÈNE, VOUS QUI L’ÊTES VOUS-MÊME ? 

Qu’il aille au bout de ses envies, de ses idées. J’attends quelqu’un qui va me faire vibrer, qui va faire que j’ai envie de jouer pour lui, qui me donne envie d’être à la hauteur de ce qu’il a imaginé lorsqu’il m’a choisi. Il n‘y a rien de plus excitant sur un plateau que de jouer pour le metteur en scène, j’adore ça. Je réalise que lorsque je choisis de faire un film, c’est presque en tant que spectateur – est-ce que j’aurais envie de voir ce film-là ? Est-ce que j’aurais envie qu’on me raconte cette histoire ? En revanche, une fois que j’ai décidé de le faire, il n’y a plus que mon rapport avec le metteur en scène qui compte. J’entre alors dans un processus de collaboration et de partage avec lui que j’adore. J’ai eu ça sur mes derniers films, avec Téchiné, avec Anger, Frears et avec Danièle. Elle a fait un très beau film et j’ai adoré travailler avec elle, pour elle. Elle donne peu d’informations mais quand elle en donne c’est très précis, très clair, cash même. Elle sait exactement ce qu’elle veut, tout en étant très ouverte aux propositions. Et puis, elle avait composé une équipe formidable, Jean-Marie Dreujou, le chef-op’ – c’est une très belle rencontre, non seulement il sait très bien éclairer et il est plein d’idées, mais il est passionné, pose un beau regard sur les acteurs. Ludovic Guillé l’accessoiriste, que j’ai d’ailleurs engagé sur mon film juste après, l’équipe technique, l’équipe costume, l’équipe maquillage, l’équipe de production... Danièle avait su leur communiquer son enthousiasme. 

LORSQUE VOUS AVEZ VU LE FILM, QUELLES SONT LES SCÈNES QUI VOUS ONT LE PLUS TOUCHÉ ? 

Bizarrement, et je ne sais toujours pas pourquoi aujourd’hui, j’ai été très touché par la scène où je suis jeune et rapporte les moineaux, et que ma mère me dit : « Il te manque ? », que je change de conversation et sort chercher du charbon et qu’en ouvrant la porte je tombe sur Guillaume avec un lièvre et une bouteille d’huile d’olive : « Tiens tu m’en diras des nouvelles de celle-là ! », et qu’ils se tombent dans les bras. Déjà, en la tournant j’avais eu à la fin de la prise une montée d’émotion que je n’avais pas du tout vu venir. Et cela a été la même chose en voyant le film. J’ai été beaucoup touché aussi par le regard de Guillaume sur moi à la fin quand il m’entend dire de Cézanne « Un génie avorté ». Et aussi la scène le soir quand je descends lui parler sur le ponton... Et puis évidemment, la longue scène du bureau, où Zola, tout d’un coup, baisse la garde. C’était d’ailleurs une scène à la fois agréable et désagréable à tourner parce que je n’arrivais pas à contrôler l’émotion que j’avais retenue pendant tout le tournage et qui, là, me submergeait... Et j’aime beaucoup la prise que Danièle a choisie parce qu’on sent que je me bats justement contre l’émotion, et c’est encore plus fort. 

Les femmes de la vie de Cézanne et Zola 
PAR DANIÈLE THOMPSON 

ALEXANDRINE ZOLA 
Alice Pol 

Madame Zola est un personnage passionnant. Il y aurait un film à faire sur elle. C’est une jeune fille partie de rien, une fille-mère qui a abandonné un enfant à sa naissance, et qui vivait dans la précarité. Elle est devenue une maitresse de maison parfaite, une bourgeoise respectable, qui, toute sa vie, s’est occupée de son mari et de son oeuvre. Et qui a quand même surmonté la fameuse histoire Jeanne, cette lingère dont Zola est tombé amoureux et avec laquelle il a eu deux enfants, alors qu’ensemble, ils n’arrivaient pas à en avoir. D’autant qu’elle a découvert tout cela à la suite d’une lettre anonyme ! Zola réussit à la convaincre de ne pas le quitter et à accepter sa double vie : il écrit le matin, rejoint sa maîtresse et ses enfants pour le déjeuner, passe l’après-midi avec eux, et le soir il rentre dîner et dormir chez sa femme. Même si elle voyage alors beaucoup, elle s’occupe de tout. Elle vit avec lui l’Affaire Dreyfus. Elle est pour tous Madame Zola, femme modèle d’un écrivain célèbre dans le monde entier. Elle n’a pas voulu revoir Jeanne qu’elle aimait beaucoup lorsqu’elle était à son service mais elle a fréquenté ses enfants. À la mort de Zola, elle se rapproche de Jeanne et lui propose d’adopter les deux enfants pour que le nom de Zola ne disparaisse pas. 

Alice Pol, je l’ai remarquée dans SUPERCONDRIAQUE, de Danny Boon. C’est une très bonne actrice. Elle m’a frappée aussi parce que c’est une vraie femme, belle sans l’être trop, avec une vraie personnalité, une vraie sensualité, sans artifice et une joie de vivre qui transparaît dans sa manière de jouer. Elle était dans un coin de ma tête, et dès que j’ai commencé le casting de CÉZANNE ET MOI, j’ai pensé à elle pour Alexandrine. D’autant qu’elle a la possibilité d’être à la fois une jeune fille et, une fois transformée, une maîtresse femme avec un côté un peu matrone. 

HORTENSE CÉZANNE 
Déborah François 

Contrairement aux Zola qui sont un couple très soudé et qui vont le rester malgré tout ce qui s’est passé, le couple Cézanne est un drôle de couple. Disons que Paul tolère plus Hortense qu’il ne l’aime. Ils ont eu un fils qu’il a beaucoup aimé mais ce n’était pas cela qui comptait dans sa vie. Il a caché son existence à son père et a refusé longtemps de l’épouser. Il n’y a pas beaucoup de témoignages sur elle, donc d’une certaine façon j’étais un peu libre. J’en ai fait une femme un peu gaffeuse, pas très maligne, qui manque de tact, mais touchante car elle est mal-aimée. En revanche, il y a beaucoup de portraits d’Hortense, peints par Cézanne, où elle est presque toujours en bleu, on a donc choisi avec Catherine Leterrier de l’habiller en bleu. En revanche, il n’y a pas de nus d’elle. J’ai donc imaginé qu’ils faisaient partie des tableaux que Cézanne a détruits ! C’est tellement beau une femme qui pose nue pour un peintre... D’autant que cela permettait de montrer à quel point les peintres peuvent être de vrais tyrans, de véritables tortionnaires, et leurs femmes des martyres, condamnées à poser sans bouger pendant des heures... 

Déborah François, je l’ai toujours beaucoup aimée. Elle est belle et, en même temps, elle a un regard un peu voilé, un mystère dans le regard, qui me touche beaucoup. Je lui ai demandé de faire des essais, de jouer une scène que j’avais écrite exprès, une scène de révolte, un peu équivalente à celle qui est dans le film, où elle n’accepte plus d’être traitée comme un objet, et elle a été géniale – et incroyablement juste. En plus, et cela comptait également, elle aussi peut faire 20 ans comme 35. Il y a chez elle en effet un mélange de jeunesse et de maturité tout à fait intéressant. 

JEANNE 
Freya Mavor 

Jeanne, cette jeune lingère qui va bouleverser le coeur et la vie de Zola, était un rôle difficile à distribuer car le film ne montre que leur rencontre, et pas leur vie commune ensuite. C’est un personnage très important mais un rôle quasiment muet. Et j’avais peur que cela ne rebute toutes les actrices auxquelles j’allais le proposer. J’avais été totalement épatée par Freya Mavor dans le film de Joann Sfar, LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL. Je l’avais trouvée magnifique. Et j’ai été à la fois étonnée et enchantée qu’elle accepte ce personnage sans dialogue. Elle a eu raison, sa présence silencieuse est impressionnante... Freya a la même simplicité, la même sensualité, la même jeunesse que Jeanne – celles qui ont fait s’emballer le coeur de ce « vieil homme » de 48 ans qu’était alors Zola... 

EMILIE, LA MÈRE DE ZOLA 
Isabelle Candelier 

Emile et Paul avaient en commun d’adorer leur mère. J’ai trouvé intéressant d’exploiter ce lien que les mères avaient forcément eu avec le copain de leur fils. Lorsque les enfants grandissent, qu’ils deviennent « vieux », leurs copains qu’on a connus enfants sont aussi devenus « vieux », mais il y a toujours une bienveillance, une tendresse... Sous le monsieur aux cheveux gris, on revoit toujours le petit garçon qui venait manger des gâteaux à 4h. Je trouvais joli de jouer là-dessus parce que cela fait aussi partie de l’histoire d’amitié de ces deux garçons. Emilie, la mère de Zola, et Alexandrine, sa femme, ne s’entendaient pas du tout. Il en a beaucoup souffert parce qu’il adorait sa mère. Il a d’ailleurs toujours voulu qu’elle vive avec eux, ce qui était une source de conflits - même si Alexandrine s’en est beaucoup occupée les derniers mois de sa vie. La mère de Cézanne, elle, ne comprenait pas toujours son fils, ni ses aspirations, mais c’était son fils, et elle avait avec lui des rapports plus simples, plus affectueux que son mari, qui, lui, était très dur... 

ANNE-ELISABETH, LA MÈRE DE CÉZANNE 
Sabine Azéma 

J’aime Sabine [Azéma] depuis longtemps. Elle a fait plusieurs films avec mon père, j’ai adoré travailler avec elle sur LA BÛCHE, ça me faisait vraiment plaisir de la retrouver. D’autant que j’avais besoin pour tous les rôles secondaires, comme les personnage de Tanguy ou de Vollard, d’acteurs qui impriment la pellicule à la seconde où ils apparaissent, qui prennent la scène, s’approprient le dialogue. Dès que Laurent Stocker ou Christian Hecq apparaissent, la vie est là tout de suite. Avec Sabine, c’est la même chose. Avec Isabelle Candelier aussi. J’aimais beaucoup son travail mais je ne la connaissais pas. Elle n’était pas si âgée que ça pour jouer la mère de Guillaume Canet ! Je lui ai quand même fait passer le scénario et lorsque nous nous sommes rencontrées, j’ai tout de suite su que ce serait elle la mère de Zola, et qu’elle saurait regarder Cézanne avec une grande tendresse. Elle a une douceur, une réserve, une subtilité formidables. 

Les sources d'inspiration 

Danièle Thompson a mené de nombreuses recherches en amont de la réalisation de son film, dont voici certains exemples. 

















© Copyright © Photo : Luc Roux et Jean-Marie Dreujou

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